… et le coach se tut ! Par Catherine Pruvost

Nous avons déjà mentionné que le coaching, une approche qui porte l’héritage de la maïeutique, a pour philosophie de laisser la place à ce qui pourrait émerger : l’art d’accoucher les esprits. Il y a en effet une volonté de laisser de la place pour faire émerger les découvertes, les imprévus, l’inattendu et cela implique une attitude, une posture différente de ce que nous avons l’habitude dans notre quotidien, une mise de côté des perspectives plus rationnelles, bien cartésiennes. La présence du coach servirait de creuset pour permettre l’émergence de nouvelles formes, de solutions et de nouvelles perspectives.

Au cœur de ce savoir-être, et de cette présence, se trouvent des ingrédients spécifiques qui participent à la mise en place du climat idéal, propice à provoquer ce que l’on pourrait appeler une mutation, qu’elle soit organique, physiologique, neurologique, ou psychologique, et ouvrir ou déclencher le potentiel de changement, mettant le coach au service d’une dimension plus grande qui, quelque fois, dépasse la logique apparence.

Alors oui le travail du coach reposerait à la fois sur l’absence d’intention quant aux résultats et l’atteinte des objectifs de son client, un subtil équilibre entre le processus et la relation, et surtout sur la capacité du coach à garantir un savoir être d’attention profonde qui fécondera tout le procédé d’accompagnement pour y créer un processus alchimique. C’est alors que pourront se manifester d’autres avenues, des solutions véritablement originales, des surprises, qui jailliront de la profondeur de la relation établie avec le coach et son client.

Plusieurs auteurs pertinents, après s’être penché sur l’analyse du métier de coach et des différentes composantes du coaching, ont élaboré quelques théories et éléments clés, utiles pour l’apprentissage du métier de coach. Entre autres, pour ne nommer que lui, Alain cardon qui dans son excellent livre « L’art véritable du Maitre Coach » aborde largement la notion de relation dans le coaching et met en avant que la qualité d’être est bien plus importante encore que le savoir-faire. La qualité d’être et de présence, est pour lui, la fondation essentielle sur laquelle repose la maitrise de tout le reste, outils, technique, méthodes etc. Encore selon lui « la présence attentive du coach aiguisée par tous ses sens place ce dernier en position intuitive de recevoir une très grande quantité d’informations relationnelles de la part de son client et de l’univers de ce dernier ». Une qualité de présence qui se matérialisera donc à travers la présence, la disponibilité, la bienveillance, une présence de cœur, voir même cultiver un regard d’amour, le non jugement, l’acceptation inconditionnelle de la réalité de son client et surtout, à travers l’écoute et le silence.

Le silence considéré comme une véritable intervention, peut en effet devenir le grand maître de vos séances. Ne dit-on pas « La parole est d’argent, le silence est d’or » ? Déjà dans nos différents échanges au quotidien, il invite au respect, à la distance et aux rapports cordiaux et permet d’éviter les actions impulsives. Il donne l’impression d’une meilleure maitrise de soi-même, offre de se calmer dans les moments d’emportement, et de nous rassurer dans les moments d’affolement. Il en est de même dans les rencontres avec un client. En coaching comme dans toute rencontre d’accompagnement, le silence est une intervention qu’on retrouve en haut du palmarès des interventions. Lorsque notre client remplit tout l’espace de sa rencontre à parler, raconter, expliquer, les mots, les concepts et les théories, tels des échappatoires, servent souvent de distraction pour combler le silence, remplir le vide et esquiver ainsi le poids d’une réelle présence. Trop de paroles nuit au processus et empêche notre client de véritablement se chercher, se développer, toucher une dimension de lui-même qu’il ne connaît peut-être pas.

Le silence ne consiste pas à seulement se taire, il devient comme un fil qui s’enfile dans la tapisserie de la séance de coaching et qui soutiendra tout le processus. C’est une posture intérieure qui est prête, à chaque instant, à se mettre sur pause pour laisser toute la place aux révélations et attraper une perle d’information au vol ! Le silence peut agir un peu comme la pompe dans un aspirateur. Il laisse la place au vide, et comme le vide appelle le plein, ce vide-là provoqué par le silence du coach pourra aspirer les pensées, les idées, les intuitions les plus profondes de son client. À condition que le coach soit bien avec le vide, il permettra à son client de lâcher les béquilles verbales, lâcher le contrôle analytique, et de s’abandonner au néant. C’est au sein de ce vide accueillant, de cet univers intérieur dénué d’influence, que l’esprit ainsi désencombré trouvera plus de vérités, et pourra évoluer, se développer et s’épanouir. Et le coach peut juste accompagner ce mouvement continu, se mettre au rythme, respirer d’un souffle commun, écouter à cœur ouvert. Une mise en résonance qui sera formidablement efficace pour les deux dans le processus d’accompagnement.

Bien sûr pour pouvoir offrir cet espace de vide, de liberté, le coach doit lui même avoir procédé à un véritable ménage intérieur et être bien, serein dans cet espace de vide, qu’il soit en mesure d’accueillir l’histoire de son client en laissant toute la place, un espace grand ouvert, avec sa seule présence comme témoin. Contrairement à certaines images véhiculées, le Maitre Coach veillera à ne prendre que peu de place pour en laisser largement à son client. Sans compter que cette compétence de créer le vide aura un pouvoir sur toutes les autres compétences du coach. Le silence avant et après une question lui donnera plus de puissance, le silence au cœur de toutes ses interventions amplifiera leur impact.

Et à ceux qui croit que le silence est une marque de faiblesse je les inviterai à observer certains joueurs de poker ? Pour certains les mots ne sont qu’une distraction qui perturbent leur réflexion. Savoir rester en dehors d’une conversation est un talent : observer la table comme un aigle observe une souris, en saisir le moindre détail sans jamais rien offrir en retour. « Le silence est le privilège des confiants et des forts », écrit Ryan Holidays dans The Ego is the Enemy.

Quand quelqu’un ne peut contrôler ses paroles, il y a des chances qu’il ne puisse pas contrôler ses émotions. La langue est aussi difficile à contenir qu’un serpent recouvert d’huile.

Un homme racontait qu’autrefois jeune adulte, il parlait trop. Une fois son patron le prit à part et après un long silence qui lui parut interminable, il lui demanda s’il aimait les huitres. L’homme ne sachant pas trop à quoi s’attendre, un peu nerveux, sourit car, dans le contexte il trouvait la question drôle. Pourtant la suite ne l’était pas. Son patron continua, « Pendant la pleine lune, les huitres s’ouvrent et révèlent leur chair », puis il fixa le regard de son employé « Savez-vous ce que font les crabes quand les huîtres s’ouvrent pour parler à la Lune ? » Il n’attendit pas la réponse. « Ils lancent un caillou pour qu’elles ne puissent plus se refermer. Vous savez ce qu’il se passe ensuite ? » Il se mit alors à imiter des pinces avec ses mains, mimant le crabe qui dévore l’intérieur du coquillage. OUF ! L’homme eut un frisson. Son patron continua en lui révélant qu’il avait été choisi comme futur manager parce qu’on croyait dans son potentiel à condition qu’il apprenne à «fermer sa grande gueule» ! et que tant qu’il chercherait à vouloir parler plus fort que tous, à monopoliser la parole et qu’il ne serait pas capable de tolérer le silence il n’irait nulle part. Il n’était finalement qu’une huître qui attendait de se faire bouffer par un crabe.

Tout comme dans le milieu des affaires on rapporte que les gens puissants impressionnent en en disant moins. Plus vous en dites, moins vous avez de chance d’en apprendre sur l’autre, et plus vous avez de chance de dire quelque chose d’idiot. » C’est Benjamin Franklin qui disait, « Rappelle-toi non seulement de dire la bonne chose au bon moment, mais beaucoup plus difficile encore, de laisser sous silence la mauvaise chose au moment utile ».

Bien sûr cela n’est peut-être pas inné, et il se peut que vous ayez plutôt développé le comportement inverse. Comme l’homme un peu plus haut, vous avez cru que vous aviez besoin de parler, d’expliquer, de raconter, d’argumenter, pour exister ! Détrompez-vous. Rappelez-vous que le sage enseigne par ses actes et non par ses paroles et comme disait Lao Tseu « Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas. »

Ainsi le coach qui aura, au cours de son cheminement appris à se taire, et surtout à être à l’aise et confortable dans le vide créé par le silence, verra sa capacité d’observation s’affiner en subtilité, sa présence s’amplifier avec majestuosité, ses questions s’imposer avec élégance, et son art s’accomplir avec encore plus de grâce.

 

Catherine Pruvost

Directrice Espace Humanitum

Fondatrice du programme Mastercoach